JOURNAL DE PAUL VINARD
(1850- 1925)
Recueilli par Pierre GOULON
(son arrière petit neveu)
III - 1er janvier 1915 au 21 janvier 1917
Pierre Goulon Sigwalt (Petit fils de Georges Vinard )
(décembre 2003)
Source des documents:
Photos:Jules et Georges Vinard
Ier et 2 janvier 1915.
Voilà une nouvelle année déjà entamée, que nous apportera-t-elle. Continuons à faire notre devoir et soyons prêts laissant le soin a Dieu de disposer de nous.
J'ai écrit un mot à M. Théo de Rohden.
Le 1er janvier nous avons dîné avec les Faure et François Armorin. C'est un bien excellent garçon, très sérieux, bien éprouvé en ce moment. Le voilà sur le point de partir obligé de lancer une importante affaire de camionnage, une usine. Son frère est sur le front depuis le début, son beau-frère Fayolle a disparu depuis le 27 septembre sans qu'il soit possible de savoir ce qu'il est devenu. Il laissera seules sa mère peu bien portante et sa sœur angoissée par l'absence de nouvelles de son mari. Et combien de situation semblable.
Ce matin 2 janvier le maire me convoque pour une visite que vient faire le préfet - à deux heures - aux alsaciens. Je m'y rends, il y a le maire, adjoint, sous-préfet etc. on visite d'abord le refuge "Usine Fayolle" puis le groupe va au refuge "Capucins". Comme ma présence est tout à fait inutile, je rentre chez moi. Lundi on attend l'abbé Wétérlé député de Colmar et un autre haut personnage alsacien.
J'ai écrit quelques lignes à Henri Granon -- dragon -- ancien membre très sérieux de l'union de jeunes gens que j'avais essayé de reconstituer et qui s'est fondue par le service militaire.
3 janvier 1915
Situation militaire sans changement notable. Temps affreux ; il pleut à verse. Nous pensons à nos pauvres soldats dans les tranchées. Ma femme fortement grippée a dû se recoucher.
4 janvier 1915
Situation militaire la même : on progresse lentement.
À six heures le maire me fait demander d'être à six heures et demie au refuge alsacien, usine Fayolle. Je m'y rends. Deux prêtres de Crest sont là, attendant l'abbé Wétérlé. Quelques instants après j'entends le poste de garde qui présente les armes. Ce sont le maire, le préfet, l'abbé Wétérlé, M.Wiedmann, substitut du procureur de la République à Paris qui pénètrent dans la cour. Présentation, l'abbé Wéterlé expédie rapidement les deux prêtres et on commence la visite des locaux. Wétérlé adresse un petit discours à chaque groupe en alsacien. Il exalte les bienfaits de l'occupation française. Il n'a rien ni extérieurement ni dans son langage d'un prêtre. C'est un homme de taille moyenne rasé, grisonnant, cheveux en brosse, vif d'allure, couvert d'un gros par-dessus col en fourrure chapeau mou. L'aspect du député populaire bon garçon. Il est onze heures et demie et l'abbé avec son collègue Wiedmann doivent interroger individuellement chacun des 346 alsaciens présents. On décide qu'on va d'abord aller déjeuner et que l'inspection continuera ensuite. Le maire offre à déjeuner à l'hôtel Espagne. Il me demande d'en être, j'accepte, je pourrai voir ainsi de plus près l'abbé Wétérlé. Nous nous rendons à pied à l'hôtel. Je suis à côté du préfet. Celui-ci, le substitut et l'abbé ont un excellent appétit. Cependant mon voisin le substitut me dit que l'abbé est tempérant, abstinant même. Nous portons naturellement la conversation sur les choses d'Allemagne. L'abbé nous donne quelques renseignements sur l'Allemagne. Il parle avec bonne humeur sans aucun accent allemand. "Le kaiser" est peu populaire : on le trouve trop théâtrale et on l'appelle "empereur français". Le parti militaire le considère comme incapable, et au début il a été écarté du commandement, mais après la défaite de la Marne il a pris le commandement estimant que ses généraux s'étaient montrés encore moins capables que lui. Il est nerveux et poltron. Le Kronprinz "est un crétin" mais très populaire dans le parti militariste. Non-germaniste, il raconte sur sa belle-mère la duchesse de Mecklembourg, des anecdotes un peu croustillantes. Il paraît que ça n'a pas toujours été une vertu, mais actuellement l'âge l'a assagie. L'abbé ne considère pas les généraux comme des aigles ; il les considère comme incapables d'improviser un plan de campagne pour parer à l'échec du plan élaboré par l'état-major général. Il dit que les Allemands sont actuellement hautains parce qu'ils se croient encore victorieux, mais lorsqu'ils se verront battus de plusieurs côtés ils s'aplatiront ; il suffira d'une pierre enlevée de la base de l'édifice pour le faire crouler tout d'un coup. Maintenant l'abbé fume cigarettes sur cigarettes et il ne cessera de fumer jusqu'au soir.
Au refuge Fayolle, Mme Roman Scheffer ". Strasbourgeoise" est venue se poster à la porte pour voir l'abbé. Je la fais rentrer et la présente, puis sur sa demande je fais appeler sa grand-mère et sa sœur : Mme Reboul et Mme Scheffer. M. Wétérlé leur sert la main très aimablement. Le préfet et le sous-préfet de Die qui vient d'arriver et à qui je les présente les accueille aussi très aimablement.
M. Wétérlé et M.Wiedmann interrogent individuellement chaque réfugié alsacien, établissent une fiche sur chacun d'eux, ils s'occupent de les caser suivant leur profession. Cela dure jusqu'à cinq heures du soir. Ils sont satisfaits de leur visite, félicitent le maire de l'installation. Ils remettent 50 F pour une collation aux alsaciens et 500 F pour acheter des cadeaux aux enfants. À la sortie beaucoup de personnes sont venues les voir. Mme Mettetal, Mme Bouet, Mme Armand etc. me demandent de les présenter. Je m'exécute, il leur serre la main, monte dans l'auto du préfet qui les amène dîner à Valence.
5 au 14 janvier 1915
Dix jours sans reprendre mes notes ! Pendant cette période que de carnage, sans que de part et d'autre la position des armées soit changée : ce sont des attaques et contre-attaques plus meurtrières les unes que les autres. On se fusille, on se poignarde, on s'assomme. Quelle horreur, et tous les matins nous en apprenons les détails qui sont "actes d'héroïsmes" impuissants à activer la solution. Chacun des adversaires espérant fatiguer et écraser l'autre. Il n'est pas possible que nous n'ayons pas le dessus. Ce serait la fin du monde, car les Allemands sont de véritables sauvages, des bandits sanguinaires. Et les neutres le pape en tête assistent impassibles aux abominations commises par les Prussiens. Cela ne les touche pas directement, ils s'en moquent.
Crest- Hôtel de France Espagne
Crest- Le Temple
Les Allemands ont arrêté un cardinal belge monseigneur Mercier qui avait fait lire un mandement déclarant que la Belgique était toujours sous l'autorité du roi belge et non sous l'autorité des Allemands. Alors le pape qui n'avait pas bougé jusque-là semble s'émouvoir et proteste. On peut assassiner des vieillards, des enfants, violer des femmes, semer partout la ruine et la désolation, le pape n'en a cure, mais oser toucher un prince de l'église ne serait-ce se contenter de l'enfermer dans son palais archiespiscopal alors c'est autre chose. Alors tous les goupillons se lèvent...
On a décidé d'apprendre aux alsaciens quelques mots de français et on a organisé des classes. Nous avons accepté ma femme et moi d'en diriger deux une heure par semaine. C'est peu, mais avec tout le reste on a de la peine à venir à bout de tout...
16 janvier 1915.
J'ai dû m'arrêter : il était l'heure d'aller donner ma première "leçon". J'ai eu des élèves très attentifs avec un ardent désir d'apprendre, puis j'ai accompagné ma femme à sa première leçon ; elle était un peu intimidée et n'osait commencer seule... Au milieu de la leçon un garde municipal est venu prévenir qu'il arriverait 60 blessés à onze heures (le 14 janvier). Ma femme est obligée d'interrompre pour aller préparer ses lits. Sur les 60 cinq lui sont destinés, elle sera ainsi au complet (neuf depuis qu'elle est à l'ambulance 2 au Joubernon). Moi je reste pour terminer la leçon, je me repose quelques instants et vais à la gare, mais sans m'en apercevoir j'ai devancé d'une heure. On ne sait plus comment on vit. Puis un retard du train est annoncé. Enfin il arrive : il est minuit 1/4, ce ne sont pas des blessés mais des convalescents : leur transfert de la gare à l'ambulance est facile, leur installation rapide ; il est cependant deux heures du matin lorsque que nous rentrons à la maison.
Le ministre de la guerre belge à accusé réception à notre pasteur Faure, d'une très aimable façon de l'envoi des enfants de l'école du dimanche à propos de Noël et a fait insérer un gentil petit article dans "le courrier des armées". J'ai demandé aux "Crestois" le journal ultra catholique de l'insérer... Il a accepté ! Signe des temps. C'est aujourd'hui 16 janvier que les Crestois pourront le lire et voir que les protestants ont parfois de bonnes idées.
Une minuscule révolte s'est produite parmi le groupe des alsaciens des Capucins. L'abbé Wétérlé a donné pour marquer son passage une somme pour "payer à boire" aux alsaciens. Tous les hommes qui boivent ordinairement de l'eau ont été un peu excités par cet extra. Leurs chefs leur ont fait quelques observations, ils se sont rebiffés, ils ont reproché à leurs chefs diverses irrégularités... On s'est disputé, il y a eu menace de coups, porte qui avait été fermée à clé enfoncée, et les chefs se sont enfuis. Quand cessera-t-on de considérer comme une amabilité de faire boire les gens sans qu'ils en aient besoin ! M. Fayolle maire m'a demandé de l'accompagner au groupe ; il leur a fait une semonce énergique, leur a dit de nommer de nouveaux chefs (on ne sait ce que sont devenus les précédents). Tout est rentré dans l'ordre, j'ai promis d'aller y faire quelques visites.
18 janvier 1915.
Peu de modifications dans la situation militaire : l'offensive des Allemands diminue et la nôtre s'accentue.
Un jeune ménage (le mari suisse, la femme de Chaisac) a pu sortir de Lieven occupé par les Allemands ; ils font un récit navrant de la situation des Français civils. Ce sont des paroissiens de M. et Mme Aeschiman (Charlotte Ricateau). Le presbytère est très endommagé. Il est habité par un lieutenant prussien qui y loge avec une femme de mauvaise vie et s'y livre à des orgies scandaleuses. C'est du reste ainsi qu'agissent à-peu-près partout les officiers allemands. Il y a paraît-il à Privas (Ardèche) quelques officiers prisonniers sur parole ; ils profitent de leur liberté pour s'afficher avec des prostituées et leur manière de vivre est à tel point scandaleuse qu'on songe à les enfermer. Voilà les représentants de la haute "Kultur" morale des prussiens.
Cet après-midi vers quatre heures après une matinée superbe et un soleil radieux, une tempête de neige s'est abattue sur la ville. Ce n'est pas dommageable pour nous, mais nous songeons à nos pauvres soldats dans les tranchées. Oh! Que Dieu ait pitié de nous !
19 au 26 janvier 1915.
Peu de changements dans la situation des tranchées prises et reprises et en dernière analyse avance peu importante, mais avance des Français. Les Russes sont également en bonne situation. Les Anglais qui surveillaient la mer du Nord ayant aperçu une escadre allemande qui probablement se disposait à aller bombarder quelques villes anglaises de la côte lui ont donné la chasse et ont réussi à couler un de leur cuirassé "le Blüsher".
Un tremblement de terre important a détruit plusieurs villes en Italie dans la région de Rome. Il y a beaucoup de morts et de blessés.
Depuis la visite de l'abbé Wétérlé et du préfet, les Alsaciens se montrent exigeants. Ils ont demandé notamment un nombre considérable de vêtements mais nos ressources n'y suffiraient pas. Pour réduire ces demandes à une juste mesure, nous avons décidé d'inventorier leurs vêtements (revue de linge et chaussures). Nous y avons consacré l'après-midi du samedi 23. Mrs Peyson, Bouvand et Rondas ont opéré aux Capucins et M. Fayolle et moi et un jeune secrétaire de la mer au groupe Fayolle.
L'administration militaire ayant appris que l'ambulance Fayolle avait été supprimée pour y loger les Alsaciens à protesté et demandé énergiquement qu'on rétablisse le nombre de lits supprimés. On a du pour lui donner satisfaction, faire évacuer les deux classes de fille annexes de l'école de garçons, et les transférer à l'orphelinat protestant qui a consenti à prêter deux de ses classes. Il m'a fallu faire reprendre 30 lits que j'avais rendus à l'usine de Soubeyran. Et nous enverra-t-on des blessés ? Nos ambulances se vident tous les jours et les partants ne sont pas remplacés. Serait-ce que le nombre de nos blessés est moins nombreux, Dieu le veuille !
Depuis deux jours, après trois ou quatre jours de beau, il neige et gèle alternativement. Et nous sommes angoissés à la pensée que nos soldats ont sans doute le même temps dans les tranchées.
27 au 30 janvier 1915.
Les Allemands annonçaient qu'ils préparaient une grande victoire en l'honneur de l'anniversaire du Kaiser. Si celui-ci n'est pas satisfait c'est qu'il n'est pas raisonnable. Une escadre qui sortait de la mer du Nord clandestinement, découverte par les Anglais a dû rebrousser promptement chemin en perdant un de ses plus fort croiseur : "Le Blüsher" coulé par les projectiles anglais avec 600 hommes d'équipage. On pense que trois autres navires ont été fortement endommagés. Sur terre de Belgique en Alsace et notamment vers l'Argonne les Allemands qui prononçaient une violente offensive avec des forces importantes ont reçu une raclée soignée. On parle de 20 000 morts alors que nous aurions eu seulement 5 à 700 morts blessés ou disparus. Enfin les Russes les tiennent toujours en échec. Le succès Allemand sera pour le prochain anniversaire du Kaiser s'il arrive jusque-là ce qui n'est vraiment à souhaiter pour personne pas plus pour les Allemands que pour les autres.
Dans une réunion des "Professeurs de français" des alsaciens on a discuté la question de savoir s'il ne convenait pas d'imposer à tous les Alsaciens l'obligation d'apprendre le Français. Pour des raisons d'ordre matériel et surtout d'ordre moral la négative a prévalu. La majorité des instructeurs pense que ce ne serait pas le moyen de faire aimer la France que d'agir par contrainte.
Aujourd'hui 30. Le recteur de Grenoble assisté de l'inspecteur d'Académie de Valence a de nouveau soulevé la question d'obligation dont il est partisan ; il a donné d'excellents arguments mais n'a pu réussir à convaincre les partisans de la liberté. On y réfléchira. Il a déclaré que la méthode d'enseignement adaptée à Crest (enseignement direct) était très bien et a félicité tout le monde.
On nous annonce pour ce soir soixante malades et blessés ; Ils partiront de Livron par train spécial à 22 h 30 environ. Comme la dernière fois marchant avec une sage prudence le train arrivera à une heure du matin aussi vite qu'à pied !
La commission permanente envoie une longue circulaire au sujet du traitement des pasteurs ; la réserve est presque épuisée. Il reste de quoi payer un trimestre. Et si la guerre se prolonge ! On propose une réduction du traitement des pasteurs et une nouvelle campagne de propagande financière pour faire comprendre aux protestants que c'est aussi un devoir patriotique d'empêcher leur église de succomber. Qui sera suffisant pour cette tâche ! Dieu seul peut y pourvoir.. Je sens que je suis incapable pour moi-même de faire oeuvre utile. Que Dieu ait pitié de nous et nous aide !
1er au 6 février 1915.
La situation militaire se poursuit sans changement notable : nous tenons toujours les Allemands en échec soit en France soit en Russie. Sur mer les Allemands ont coulé trois navires anglais transportant des provisions ; ils ont opéré avec leurs sous-marins, sans avis préalable pour permettre à l'équipage de se sauver ; il paraît que c'est contraire au droit des gens et ils annoncent qu'ils vont continuer. Je pense que les Anglais prendront des mesures pour s'y opposer.
Reçu une carte de mes amis Peyson jeune de Nouvelle-Calédonie. J'ai répondu ainsi qu'à Charles Armorin. Écrit aussi à Charles Westphal. Un neveu de M. Westphal le Capitaine Rey-Lescure est mort en Allemagne le 23 janvier ; il laisse une veuve et cinq enfants. M. Westphal a écrit dans la Voix des communes du 30 janvier quelques lignes très bien.
Hier et aujourd'hui on a vendu un petit drapeau (dit du 75) pour acheter des effets chauds aux soldats sur le front, c'est ce qu'on avait fait pour les réfugiés belges.
Hier M. Frédéric Vernier ancien missionnaire à Tahiti qui était venu se fixer à Crest il y a cinq ans s'est éteint doucement, il avait 74 ans. C'est une figure sympathique de plus qui disparaît. Les rangs de cette vieille génération qui aime l'église s'éclaircit chaque jour et on ne voit pas que la nouvelle génération remplace les disparus. L'église telle qu'elle est organisée ne répondrait-elle pas aux besoins de l'âme ! Si au moins la pitié, la foi en Dieu, l'amour du prochain se manifestaient sous une autre forme !. Est-ce l'effet de l'âge qui fait trouver le passé meilleur que le présent, mais il me semble que la génération actuelle abandonne Dieu et est en même temps plus égoïste, chacun pense davantage à soi et à son bien-être. Le catholicisme seul semble faire quelques progrès qui se concilient très bien avec l'égoïsme, le matérialisme : on va à la messe, à confesse, au café et au besoin aux mauvais lieux. On se dit disciples de Jésus. Fils de la vierge et on prêche la vengeance, la haine qu'on appelle patriotisme. Qui sait si après avoir anéanti le militarisme allemand il ne faudra pas anéantir " l'ultra......." militant, le cléricalisme qui commence au temps de Gambetta est toujours l'ennemi du progrès, de la justice, de l'humanité. Et le Saint-Père le Pape continue à faire risette aussi bien aux Allemands et aux Autrichiens et aux Turcs, qu'aux alliés. Il n'y a qu'une chose qui le remue un peu : C'est lorsqu'on a l'air de toucher à ses prérogatives, mais on peut violer le droit des gens, assassiner des femmes, des enfants, des vieillards il n'en a cure. C'est ce qu'il appelle être impartial.. Et dire qu'il ose se réclamer du Christ ! Quel blasphème !
7 au 10 février 1915.
Je suis allé dimanche 7 à Beaufort remplacer Gustave Vernier fils du décédé. Mauvais chemin détrempé par la pluie qui continue à tomber et course à bicyclette assez fatigante. Auditoire assez clairsemé, 5 à 6 hommes. Le réveil du sentiment religieux dont on parle ne se manifeste pas d'une façon bien visible dans nos parages. Peut-être ceux qui sont chargés du message ne s'en acquittent-t-ils pas avec assez de ferveur ? Ou la forme du culte ne répond-elle pas aux aspirations du peuple. Que faire ? Nous avons besoin que Dieu nous guide, nous inspire. Lundi enterrement de Monsieur Vernier. Temps exécrable, du commencement à la fin pluie sans discontinuer.
Mardi commission exécutive. M. Morin Vernet est plein d'ardeur. Moi je me sens de plus en plus insuffisant pour tout ce qu'il y aurait à faire. Peut-être ai-je trop accepté de fonctions et si j'avais refusé d'une façon absolue lorsqu'on m'a sollicité, quelques-uns se seraient-il manifesté ? Je demande à Dieu de susciter quelqu'un. Je crois pouvoir me rendre le témoignage de n'avoir accepté une fonction que lorsqu' après avoir offert cette fonction à plusieurs j'ai partout essuyé des refus. J'ai besoin que Dieu me donne la force et les moyens d'accomplir la tâche ou les tâches que j'ai acceptées dans la pensée que c'était sa volonté.
La nuit dernière (du 9 au 10) orage de pluie, grêle, neige avec roulement de tonnerre. C'est à n'y rien comprendre ; jamais pareil phénomène en plein hiver. Décidément tout est détraqué.
11 au 13 février 1915. (Voir 3 juin)
La commission permanente demande à l'église de Crest de recevoir le synode général qui doit se tenir en mai. Ma première impression est de refuser. Puis comme ce synode ne durera que deux jours (seulement l'approbation des comptes et examen de la question financière) que le nombre de ses membres sera très restreint et que l' UN en supportera les frais, nous préparons M. Faure et moi une lettre pour faire connaître à la commission permanente que nous ne sommes plus la grande église d'autrefois : Presque toutes les familles qui pouvaient recevoir ont disparu et nous arrivons péniblement à boucler nos comptes. Si on ne trouve pas une autre église nous accepterons, mais notre réception sera des plus modeste.
Aujourd'hui 13 je reçois la visite d'un de mes anciens employés -- actuellement agent commercial P.L.M à Valence -- il fait une tournée dans la région avec le Directeur du service agricole P.L.M pour savoir dans quelle limite on pourra encourager l'agriculture et provoquer des transports. Le moment est mal choisi : Presque tous les agriculteurs jeunes sont mobilisés. Je les ai présentés aux secrétaires de nos syndicats agricoles, et on verra si plus tard on peut organiser quelques jours. En attendant ils vont nous envoyer des griffes d'asperges.
14 au 18 février 1915.
Situation militaire sans grand changement. Les Allemands essayent toujours de percer la ligne anglo-franco-belge et n'y réussissent pas. Les communiqués disent qu'ils subissent de grosses pertes. Sur mer les sous-marins allemands coulent les navires marchands sans qu'il soit possible de les voir et de les détruire. Les Allemands ont prévenu toutes les puissances neutres qu'ils décrétaient le blocus de l'Angleterre et de la France, et qu'ils couleraient tous les navires quelconques qui navigueraient dans ses parages. Protestation des neutres qu'en résultera-t-il ? En Russie violents combats. Des deux côtés on s'attribue la victoire. Le général Pau va en Russie ? On dit que des troupes françaises ont été dirigées en Serbie.
François Armorin qui avait été classé dans le service auxiliaire est parti hier pour Grenoble comme " secrétaire au 30e bataillon de chasseurs alpins "
Ma belle-sœur à pu avec sa fille Miette aller jusqu'à Commercy et elle a vu son fils René.
Nos alsaciens nous donnent quelques ennuis. La plupart se saoulent dès qu'ils ont quelques sous. Dimanche dernier quelques-uns se sont battus et ont menacé de mort leur chef qui intervenait. Il a fallu faire intervenir le poste. Cinq ont été consignés avec permanence de corvée et le préfet a été prévenu.
19 au 23 février 1915.
Il pleut toujours et la situation militaire change peu. Nous vivons dans l'impatience et l'angoisse. Et cependant nous avons la certitude du succès final, mais nous voudrions que nos braves soldats soient bien vite libérés. J'ai provoqué une réunion du diaconat le 15, pour demander que l'on songe à la vente annuelle qui se fait le jour de l'Ascension au bénéfice des pauvres et des missions. Malgré les sacrifices et les préoccupations imposées par la guerre, il ne faut oublier les oeuvres de l'église. Les diaconesses ont été de cet avis et elles vont s'occuper de l'organisation. Il faut s'attendre évidemment à une recette bien réduite. On aura fait au moins ce qu'on aura pu.
Mme de Witt Schlumberger présidente de " l'aide fraternelle aux alsaciens " envoie une lettre circulaire au pasteur M.Faure pour lui demander de créer à Crest un comité pour aider moralement et matériellement les Alsaciens réfugiés à Crest. Sur la demande de Monsieur Faure, je réponds le 23 février à Mme de Witt que l'organisation de Crest est suffisante et rend inutile la création d'un nouveau rouage.
Ce soir à 17 h sont arrivés 60 convalescents -- blessés ou malades -- 40 pour l'ambulance du Joubernon ce qui fera 114 qu'on aura beaucoup de peine à caser.
24 février au 8 mars 1915
Même situation militaire : sur terre nous progressons lentement, sur mer les flottes anglo-françaises bombardent les Dardanelles. Les alliés pour répondre à l'Allemagne qui menaçait de couler avec ses sous-marins tous les navires sans avertissement préalable ont décidé le blocus de l'Allemagne. En Russie après une retraite les Russes ont repris l'offensive et repoussés allemands et autrichiens.
Monsieur de Witt Schlumberger a demandé qu'on lui désignât un délégué pour l'aide fraternelle aux alsaciens. Le maire m'a désigné. Je ne sais trop ce que je vais faire.
Mardi 2 mars réunion du conseil presbytéral. On décide l'assemblée générale pour le deuxième dimanche de mars. Je fais adopter une modification à la liturgie -- empruntée au service liturgique de Nyons.
Charles Armorin a rencontré en Belgique Théo de Rohden et son fils Fernand ; il m'en donne de bonnes nouvelles que j'ai communiquées à mon ami Charles de Rohden et à la femme de Théo.
Le préfet est venu faire une visite aux alsaciens. Il avait donné rendez-vous à une heure et demie ; il est arrivé à deux heures trois-quarts. Il était avec sa femme et son fils et son chef de cabinet. Ils s'étaient sans doute attardés devant un déjeuner copieux. Le temps s'est mis au beau et j'ai pu pendant trois jours (jeudi, vendredi et samedi) travailler au jardin. Mais cette nuit (dimanche à lundi) retour du mauvais temps- toute la journée giboulées de neige et froid. J'ai laissé éteindre le poêle du vestibule. Jeudi nous faisons un peu de feu au bureau.
9 au 26 mars 1915.
Les Russes ont pris Przemysl assiégée depuis quatre mois et fait prisonnier cinq généraux et 117 000 officiers, sous-officiers, et soldats. Nos généraux Maunoury et de Villaret commandants d'armée et de corps d'armée ont été grièvement blessés à la tête par une même balle le 13 mars en inspectant une tranchée.
Le 10 mars 80 réfugiés de l'Aisne revenant d'Allemagne sont arrivés à Crest. Nous les avons fait déjeuner et expédiés en voiture dans diverses communes ; il faisait un temps de chien. Le 19 mars visite du préfet, du sous-préfet et de deux députés chargés d'inspecter les réfugiés français et alsaciens. (Monsieur de Bouillon et de Lherpillon). Je leur fais visiter trois ménages de réfugies. Ils sont satisfaits. Je discute avec le préfet qui donne des instructions un peu contradictoires et est vexé de ce que je lui ai dit que ses bureaux mettaient un temps infini avant de répondre. Monsieur Fayolle est absent, il était allé à Marseille voir un blessé amputé qui a été rendu par l'Allemagne ; il a été blessé en même temps que le fils de Monsieur Fayolle.
À peine préfet et députés partis arrive Mlle. Koeberlé déléguée par l'association l'aide fraternelle pour visiter les Alsaciens ; ensuite elle veut visiter la tour. Nous sommes donc sur pied de sept heures et demie du matin à sept heures du soir.
27 mars au 6 avril 1915.
Situation militaire sans grand changement : nous prenons quelques tranchées, les Allemands en reprennent, mais finalement un petit avantage nous reste. Nous avons peu de mort et de blessés. À Crest les deux ambulances sont presque vides. Sur mer les sous-marins allemands continuent à faire couler des navires marchands et les Anglais ne semblent pas s'en émouvoir. Des Zeppelin se sont promenés sur Paris et la banlieue et ont effrayé pas mal de gens qui se sont réfugiés dans les caves. Il y a peu de mal, deux ou trois morts et blessés civils. Les Russes tiennent toujours en arrêt les Allemands et les Autrichiens. Il y a même un peu de recul de ceux-ci. Les flottes alliées continuent leur marche dans les Dardanelles et les Russes essaient de leur côté de forcer le Bosphore.
Nous aurons le synode régional à Montélimar le 19 avril. J'ai deux rapports à présenter (financier et remaniement de la circonscription : suppression et fusions d'églises) et je n'arrive pas à faire face à toute la besogne qui m'accable. L'association l'aide fraternelle des alsaciens me bombarde de demandes de renseignements. Nous aurons le synode national à Crest en juin !
7 avril au 19 avril 1915.
Situation militaire et navale identiques aux précédentes périodes. Nos ambulances sont à peu près vides. Malheureusement nous apprenons de nouveau la mort de quelques jeunes gens de Crest.
Madeleine Roman-Scheffer petite-fille de Monsieur et Madame Reboul a failli succomber à ses couches. Il y a eu fièvre puerpérale et d'autres complications. Le Dr Ricateau a demandé à ma femme de l'assister comme infirmière ; elle y a passé plusieurs nuits et y va tous les jours. Heureusement qu'il n'y a presque pas de blessés ou malades à l'ambulance.
Nous avons reçu de nouveau, 75 évacués de Meurthe et Moselle venant d'Allemagne. Comme la première fois nous les avons fait déjeuner et les avons dirigé ensuite sur Beaufort, Montebour, Cobonne, Puy St-Martin -- vieillards, femmes et enfants -- que de tristes situations! Je pars aujourd'hui pour assister au synode régional de Montélimar.
20 au 27 avril 1915
Situation militaire identique. Distribution de vêtements venus de l'union des femmes françaises à Paris (Mme. J.Siegfried) aux réfugiés, puis achat de chaussures et compléments aux réfugiés et ils ne sont pas contents -- puis placement des alsaciens -- Travail intense, pas une minute. Le pauvre jeune Roman de plus en plus mal. Son père, sa mère, sa sœur ont pu quitter Strasbourg et ils viennent par la Suisse. Mais partout arrêts, quarantaines. Les laissera-t-on entrer et n'arriveront-ils pas trop tard. Ma pauvre belle-sœur est assez souffrante. Comment avec son tempérament supporte-t-elle toutes les angoisses que lui cause la situation de ses fils? Hélas de tous côtés c'est la tristesse... le malheur. Oh! La méchanceté de l'espèce humaine ! Que Dieu est pitié de nous !
28 avril au 9 mai 1915.
Peu de changements dans la situation militaire. Toujours des attaques de tranchées sur terre. Sur mer les sous-marins allemands continuent à couler des navires marchands. Ma belle-sœur assez souffrante a dû abandonner son service à l'ambulance. Un de ses fils René sous lieutenant de génie qui était en Alsace depuis le début de la guerre et ensuite en Lorraine vient d'être envoyé à Grenoble comme instructeur de la classe 1916. Ses deux autres frères Pierre et Jean sont en Belgique.
Monsieur et Madame Scheffer et leur troisième fille ont pu arriver à Crest assez déprimés. Leur fille Mme Roman est toujours à peu près dans le même état. Le 29 avril ma femme a dû reprendre son service à l'ambulance : 80 blessés sont arrivés venant du front quelques-uns assez sérieusement. Pour sa part elle en a eu 17, aussi elle a fort à faire.
Aujourd'hui dimanche de l'église on a recueilli 80 F, mais la recette n'est pas terminée, M. Faure a fait un appel émouvant.
Jeudi prochain jour de l'Ascension aura lieu notre vente annuelle. Demain je vais à Valence présider un comité de Société Centrale.
La question de résidence du pasteur dans des annexes est revenue au conseil presbytère : M. Brunet veut habiter Crest, l'appartement ne lui convient pas et sa jeune femme se trouve trop isolée. On ne décide rien de précis : il pourra revenir résider provisoirement à Crest mais cependant la résidence définitive à Grâne n'est pas admise.
10 mai au 31 mai 1915.
Avec la multiplicité des obligations contractées les journées passent avec une rapidité déconcertante.
1er au 3 juin 1915
J'ai été interrompu -- que d'événements ! Vers Arras nous avons commencé l'offensive et nous avons eu des succès mais hélas combien chèrement achetés. Mon neveu Jean sert dans cette région et d'après le récit de blessés de sa compagnie il se comporte d'une façon admirable (héroïque et prudent) attentif aux soldats qu'il commande, dont il sait se faire craindre, obéir et aimer. Son frère Pierre atteint de la jaunisse a été évacué dans une ambulance à Aubervilliers, où ses parents ont pu le voir, et ensuite à Paramé (Ille-et-Vilaine) où il est encore.
René toujours en Lorraine a été cité à l'ordre du jour, puis désigné pour aller à Grenoble instruire la classe 1916 pendant cinq semaines.
Sa mère et sa jeune sœur sont venues le voir. Ma pauvre belle-sœur à les nerfs bien tendus ! Que Dieu la soutienne !
L'Italie a rompu sa neutralité et s'est jointe à la triple entente ; Elle est entrée immédiatement en Autriche. Ce nouvel appoint à la cause du droit hâtera certainement la victoire en notre faveur, et sans doute la Roumanie et la Bulgarie suivront son exemple, alors on pourra espérer la fin de la guerre.
Le 3 février 1915 la commission permanente avait demandé à l'église de Crest de recevoir le synode national. C'est fait ; il a eu lieu hier et avant-hier. On a pris les repas en commun à l'hôtel Espagne. On a beaucoup discuté la question financière. On a décidé de respecter le fond de réserve de 300 000 F qui reste et de cesser quand même la retenue de 10 % effectuée sur le traitement des pasteurs.
Il y a eu une prédication de M.Gand le mardi soir et une conférence de M. Doumergue le mercredi soir. Celle-ci a traité surtout la question d'argent et dans un sens nous le regrettions car l'auditoire était composé d'au moins un tiers de catholiques. Il y a eu une collecte de 115 F.
Enfin cette grosse question de réception du synode national est liquidée. Il faut vite s'atteler à autre chose.
Carte postale du Synode national de l'Eglise Réformée de France de juin
Message du Synode national adressé aux soldats (Verso de la carte postale)
4 au 20 juin 1915.
Nous sommes allés le 6 juin voir notre neveu René à Jallieu chez son frère Georges. Nous l'avons trouvé en excellente santé morale et physique. Mon frère s'y était arrêté et a fait le culte. Nous avons passé deux bonnes journées bien reposantes dans l'intérieur calme de Georges.
Ma belle-sœur à trouvé le moyen d'aller voir son fils Jean à Neuville St.Vast. Jean se bat vaillamment, il a été cité à l'ordre du jour et passera sans doute sous lieutenant.
La situation est toujours très grave, nous ne parvenons pas à percer les lignes allemandes malgré de grosses pertes. Cependant nous infligeons paraît-il des pertes encore plus grosses à l'ennemi. L'Italie avance et n'a pas encore subi d'échec mais les Russes ont un peu fléchi. L'issue de cette horrible lutte ne s'aperçoit guère.
J'ai fait aujourd'hui le culte à Loriol ou la vaillante Mme Lacheret continue à tout bien diriger, mais elle commence à être fatiguée
21 juin au 8 juillet 1915.
On vit pour ainsi dire au jour le jour en attendant avec impatience ce qu'apportera demain. Hélas depuis quelques jours ce n'est pas brillant : les Russes se sont laissés reprendre Rem... et prendre Lemberg. Et les Allemands marchent sur Varsovie dont ils sont maintenant peu éloignés. On attribue la reculade des Russes au manque de munitions. Maintenant les Allemands se retournent de notre côté et des combats sanglants se livrent sur le front français sans gains notables de part et d'autre. On commence à parler d'une campagne d'hiver. Les Italiens avancent sans avoir semble-t-il rencontrés de grands obstacles jusqu'à maintenant. Les troupes anglo-françaises ont quelques succès aux Dardanelles.
Mon neveu Jean a été cité une deuxième fois à l'ordre du jour et nommé sous-lieutenant à date du 19 juin (officiel des 23 juin).
9 au 24 juillet 1915.
Les Russes ont considérablement reculé et se sont maintenant les Allemands et les Autrichiens qui sont chez eux. Varsovie est menacée. On ne comprend pas très bien ce qu'ils font.
De l'autre côté toujours quelques succès partiels, mais qui hélas nous coûtent assez cher. Et on commence à parler d'une campagne d'hiver.
Le gouvernement a demandé que tous les particuliers ayant de l'or le lui versent pour lui permettre de faire ses paiements à l'étranger. J'ai trouvé 200 F dans mes diverses caisses, que j'ai versé, en échange de billets de banque et d'un " reçu patriotique ".
Le 11 juillet je suis allé faire le culte à St.Vallier ; toute une longue journée faute de trains et encore j'ai dû faire le trajet de Livron à Crest à bicyclette. Nos deux neveux Pierre et René nous ont fait la surprise de venir à Crest. Pierre qui était en convalescence à Paris -- à la suite d'une brûlure à une jambe et de la jaunisse -- est d'abord venu ; puis il est allé chercher son frère à Grenoble et tous deux sont allés à Paris passer encore deux jours auprès de leurs parents. Ils sont pleins d'entrain et de confiance.
Tous nos alsaciens hommes ont été définitivement placés le 16 juillet et le dépôt a été fermé, mais il a fallu le rouvrir hier pour recevoir 100 suspects hommes femmes et enfants, qui étaient internés à St Maximin (Var) On les a enfermés aux Capucins.
25 juillet au 13 août 1915
Situation militaire sans modifications appréciables sur le front occidental. Il semble cependant que nous sommes en meilleure posture que les Allemands et que nous leur avons infligé des échecs qui préparent l'échec définitif. Malheureusement les Russes faute de munitions dit-on (?) reculent toujours; Ils ont évacué Varsovie et les austro-allemands y sont entrés. L'Italie progresse lentement. On espère la rentrée prochaine à nos côtés des états balkaniques. Il semble qu'alors ce sera bientôt le commencement de la fin.
Mon neveu Jean qui a pu avoir quatre jours de congé est allé voir ses parents. Pierre qui a contracté une maladie au cœur va sans doute être réformé. René toujours à Grenoble s'attend à partir d'un jour à l'autre.
Lydie et sa fille Madeleine sont venues nous voir hier. Elles sont provisoirement à Blacon. Madeleine n'est pas très bien portante et on a estimé qu'un changement d'air à la campagne est utile. Peut-être vont-elles s'installer pendants quelques jours dans le Vercors. Nous avons appris indirectement que mon ami Théo de Rohden à la croix de guerre ainsi que son jeune fils Fernand 17 ans. Il s'est présenté en tenue avec sa croix à l'examen du baccalauréat et a été reçu. Il a obtenu un congé et à l'intention de s'engager ensuite dans un régiment de zouaves. Je me propose d'écrire aux parents
14 au 26 août 1915.
La situation militaire et navale se poursuit dans les mêmes conditions : les Russes reculent, la situation sur le front anglo français et belge se maintient à notre avantage ainsi qu'aux Dardanelles. Les Italiens avancent lentement mais sûrement. Les succès des Allemands contre les Russes les remplissent de joie naturellement et ils annoncent leur prochaine victoire générale qui les rendra maîtres du monde à qui ils donneront la félicité complète par la Kultur et le pain K K, et ensuite tous les peuples les béniront.
Mon neveu Pierre est versé dans l'auxiliaire. Il travaille provisoirement dans l'usine de produits chimiques Pagès Camus Duchemin à Ivry. René est reparti pour le front samedi. Jean y est toujours et toujours persuadé que l'extermination totale des boches est prochaine. Gaston est secrétaire d'état-major à la place à Paris. Georges attend un ordre de départ d'un jour à l'autre ; sa santé est toujours peu brillante. Je vais aller le remplacer dimanche à Jallieu pour lui permettre de prendre quelques jours de repos de plus.
Ma belle-mère Madame Genonville qui était à l'asile " Le Repos " à La Force est morte le dimanche 15 août à cinq heures du soir à 76 ans. Elle avait une affection de cœur et s'est éteinte sans souffrances nous écrit-on. Prévenus trop tard, il nous a été impossible d'aller à La Force. Le dimanche 22 je suis allé présider le culte à Bourg les Valence.
27 août au 16 septembre 1915.
Reçu une lettre de mon ami Théo de Rohden qui n'est plus sur le front. Il est à Le Dorat (Haute-Vienne) commandant d'armes et intendant militaire. Son fils aîné Charles est prisonnier en Bavière. Louis est au 13ème alpin à Modane. Fernand au repos à la Tour de peiltz va s'engager au premier zouave en septembre. Quelques permissionnaires sont venus : jules Granon, Charles Armorin, Albert Aeschiman. Précédemment nous avions vu André Aeschiman, Bontier, le jeune Mouricand. Tous en bonne santé et pleins d'entrain. Un excellent garçon Gontard menuisier a été tué ; il laisse une veuve et un jeune enfant.
J'ai fait avec mon beau-frère Genonville une intéressante course à bicyclette : Partis le 7 septembre à six heures et demie, nous sommes allés à Plan de Baix – Léoncel - La Vacherie - St Jean En Royans - Combe Laval- Lente – Vassieux à partir de Saint-Jean route épouvantable qui nous oblige d'aller à pied même à la descente. 35 km environ nous arrivons à Vassieux à 8h -- mais route grandiose. Nous repartons le 8 de Vassieux à six heures par le col de Rousset. Nous sommes à Crest à 11 heures mais cette fois route superbe qui nous permet de pédaler tout le temps.
Situation militaire et navale sans changement appréciable. Peu de malades et blessés à l'ambulance.
17 septembre au 3 octobre 1915
Une énergique offensive en Champagne les 24 et 25 septembre a permis de rompre sur un point la ligne allemande ; il n'a pas été possible malheureusement de le faire sur une très grande longueur et des feux d'artillerie et de mitrailleuses de flanc ont arrêté la progression. Les Allemands ont eu de très grandes pertes : environ l'effectif de trois corps d'armée dont 23000 prisonniers (plus de 300 officiers) on leur a pris 121 canons. De notre côté les pertes ont été assez faibles. Beaucoup de blessés, mais très légèrement : bras, jambe, tête. Du coup les ambulances qui se sont vidées sont revenues à leur grand effectif et ma pauvre femme est de nouveau surmenée. Samedi 2 octobre elle est rentrée à dix heures et demie du soir.
Je suis retourné le 26 octobre à Bourgoin remplacer mon neveu Georges qui va moins bien. On l'a réformé et nous l'avons amené à Crest en attendant de trouver une maison où on pourra le guérir. Quelle vilaine maladie que cette neurasthénie !
Après une période de près de deux mois de temps magnifique sans un seul jour d'interruption la pluie est venue amenant avec elle brusquement un froid assez vif. Nous avons dû faire une flambée dans mon cabinet de travail. La bise siffle.
Village de Vassieux En Vercors, vers 1910
René et Jean Vinard au Vésinet en juillet 1915, soit 2 mois avant la mort de Jean
René Vinard avec son oncle Paul et son père
Septembre 1915 - Cimetière du ravin de Marson avec la tombe de Jean (Celle de gauche au premier plan) Nota: Jean repose au cimetière de Crest
La Bulgarie semble vouloir s'allier avec l'Allemagne pour tomber sur la Serbie. Que va-t-il se déclencher ?
Mon neveu Jean qui a participé à l'attaque en Champagne en est sorti à-peu-près indemne : une commotion produite par l'éclatement d'un obus l'a retenu deux jours dans une ambulance.
4 au 20 octobre 1915
Période bien douloureuse avec un temps gris d'automne brumeux et froid. Nous avons eu cependant trois magnifiques journées.
Au moment où j'écrivais les lignes ci-dessus mon Cher et brave neveu Jean tombait héroïquement. Les 22 et 23 septembre il écrivait à ses parents une lettre magnifique -- que je joins ci-contre –
( Voir en page annexée) le 23 au soir il annonçait qu'il était dans la lutte jusqu'au cou, que son colonel venait de le charger du commandement de la troisième compagnie (156e régiment) Le 29 septembre à la tête de sa compagnie il était frappé d'une balle au cou. Après un pansement sommaire à l'ambulance du front il avait voulu retourner au combat. En chemin se sentant fatigué il s'était assis près d'un abris, avait enlevé son casque, au même moment un éclat d'obus lui fracassait la tête. Son frère René qui venait justement d'être nommé dans le même secteur et qui tout joyeux le recherchait n'a plus trouvé que sa tombe...... Que c'est affreux ! Et dire que c'est l'élite de la jeunesse qui disparaît ainsi... Que les voies de Dieu sont mystérieuses ! Je redoutais la nouvelle pour les parents. Ils l'ont reçue en chrétien... Et nous en bénissons Dieu.Les Bulgares se joignent aux Allemands et il nous faut aller au secours de la Serbie. Voilà la fin de la guerre remise aux calendes. D'autant plus qu'on ne sait plus très bien ce que vont faire la Grèce et la Serbie. On dit que cet échec diplomatique est un peu imputable à un autre gouvernement et le ministre des affaires étrangères Delcassé a démissionné, remplacé par M. Viviani Président du conseil. Ce n'est pas plus difficile que cela... On commet de graves fautes qui prolongent les horreurs de la guerre et en rendent l'issue précaire et on va tranquillement se reposer. C'est ce qu'on appelle la responsabilité ministérielle... Hélas !
Notre jeune Charles Westphal blessé d'un éclat d'obus à la main a été évacué à Briançon. Son père a obtenu qu'il soit transféré à Crest à l'ambulance de ma femme.
Les deux fils de mon ami Théo de Rohden sont dans la Drôme (La Batie Rolland et Nyons). Je voudrais aller les voir mais ce n'est pas facile.
21 octobre au 8 novembre 1915.
Je comptais aller à Nyons samedi 30 octobre au soir passer la nuit dans les salles d'attente de Livron et de Pierrelatte pour arriver à Nyons à 9 h 30 voir le jeune Fernand de Rohden, mais une dépêche m'annonçant qu'il s'absentait m'a fait remettre le voyage.
Le 2 novembre notre ami Westphal nous annonce qu'il passe à Crest à 9 h 30 pour se rendre à Briançon. Nous allons à la gare et ... je pars avec lui pensant rencontrer à Veynes son fils Charles qui a annoncé son arrivée à Crest pour ce jour-là. A Veynes pas de Charles et plus moyen de continuer sur Briançon : le train est parti, nous revenons à Crest pensant que Charles y est arrivé par une autre voie. Il n'y est pas. Le médecin-chef oppose la force d'inertie à son départ et Westphal est obligé de retourner à Paris sans avoir vu son fils. Naturellement il n'est pas content et il le dit en passant à Lyon au supérieur hiérarchique du médecin de Briançon. On lui lave la tête et il se décide à envoyer Charles à Crest le 7 novembre.
Le temps tourne au froid. Mercredi 3 novembre nous allumons le poêle du vestibule. Vilain automne, pluie, brouillard -- de temps à autre cependant une journée belle.
Madeleine Louis est ici depuis plusieurs jours pour raison de santé. Le médecin pense qu'il faut qu'elle habite Paris ou la banlieue le moins possible.
Georges est entré dans une maison de santé à Saint-Rémy près de Chalon-sur-Saône ; il va déjà mieux et tout fait espérer qu'il ne tardera pas à être bientôt remis.
Mon frère et ma belle-sœur continuent à supporter vaillamment leur deuil.
Un nouveau ministère s'est constitué ayant à sa tête M. Briand qui paraît-il est un homme de plus de décision que M. Viviani. On envoie des troupes au secours des Serbes et il paraît que les Bulgares ont déjà subi un échec. Il ne semble pas que les austro-turco-allemands puissent réussir davantage de ce côté que des autres. Mais ils nous opposent encore une furieuse résistance.
9 novembre 1915 au 23 février 1916
L'affreuse guerre continue et...on semble s'y habituer. Pas d'affaire très importante sur le front français. Par suite il n'arrive ni blessé ni malade. Le 131e bataillon a été fermé fin novembre (le 30) Charles Westphal a eu un mois de convalescence. Il est parti le 26 novembre. Nous avons profité de l'acalmie pour aller faire un tour à Paris (du 3 décembre au 24 décembre) où nous avons eu un temps exécrable. Il nous tardait de voir mon frère et ma belle-sœur. Nous les avons trouvés très vaillants. Paris est peu animé : beaucoup de magasins fermés. Nous avons assisté à l'arbre de Noël de Charenton. C'est la première fois que nous y étions en simples spectateurs après y avoir été acteurs pendant vingt-cinq ans ! À Crest -- où nous avons pu également assister (ce n'était pas le même jour) on a fait comme en 1914 : Pas d'arbres et une quête en faveur des enfants serbes... Ces pauvres serbes, ils ont été complètement battus et se sont réfugiés en France comme les Belges, puis cela a été au tour des Monténégrins... Ces Allemands sont véritablement une nation guerrière formidable.
Le 22 janvier à la réception d'une dépêche de ma belle-sœur annonçant qu'elle venait à Bourgoin avec René en permission de sept jours, nous sommes partis et avons passé deux journées bienfaisantes chez Georges rentré de la maison de santé, incomplètement guéri hélas ! René était bien. Les deux petits (de Georges et Madeleine) délicieux.
Je suis allé faire le culte et l'école à Loriol le 20 février. M.M Lacheret atteint de paratyphoïde est attendu à Loriol vers le 24 pour sa convalescence.
Mme H.Lacheret qui était enfermée à Douai a pu se faire évacuer par les Allemands et est rentrée dans sa famille à Paris par assistance le 6 janvier. Elle avait un bébé de dix-huit mois.
24 février 1916
Nous avons hospitalisé pendant huit jours un brave artilleur de Tourcoing (ancien membre de l'église de Liévin). Sa femme est enfermée avec son bébé à Tourcoing. Il voudrait bien qu'elle soit elle aussi évacuée avec son garçon qui a maintenant trois ans. Il les a quittés le 2 août 1914 pensant que c'était pour quelques semaines et voilà dix-huit mois qu'ils sont séparés et sans nouvelles. C'est un garçon très sérieux, un excellent cœur -- un véritable chrétien et buveur d'eau comme nous (Senague René)
Les Allemands après quelques attaques partielles en divers points -- pour tester le front -- attaquent depuis trois jours le front de Verdun avec des forces considérables sur une étendue de 40 km Nous avons perdu quelques tranchées. On dit que leurs pertes sont considérables, mais on ne parle pas des nôtres. Nous attendons la suite avec anxiété. On leur a démoli un Zeppelin avec plus de 20 hommes et 3 ou 4 aéros.
Le temps après une longue période de beaux jours s'est mis subitement au froid et depuis hier il neige sans discontinuer. Il y a plus de 30 cm... Que nous attend-il encore.
25 février au 15 mars 1916.
L'attaque des Allemands a été arrêtée ; elle a duré plus de 20 jours et il est à craindre que ce ne soit pas fini. Ils nous ont pris quelques kilomètres vers Verdun au prix dit-on de véritables massacres de leurs hommes.
Nous avons reçu de bonnes nouvelles de mon neveu René qui était de ce côté.
Le temps s'est radouci, mais il pleut et le vent souffle du midi.
Hier soir il est arrivé un convoi de blessés dont quelques-uns assez grièvement.
Le 7 mars après mon repas du soir j'ai été terrassé par une violente attaque " de grippe " Selon le médecin, crispation nerveuse de la machine. Sueurs glacées, détraquement d'intestin, demi-évanouissements persistants auxquels succède une excitation nerveuse bien désagréable : Tout mon corps semble électrocuté. Le médecin ne trouve rien au cœur aux poumons, au foie, aux reins, à l'estomac... mystère. C'est le système nerveux détraqué par trop de travail ? Un peu de caféine -- si cela ne fait pas du bien cela ne fait pas du mal et repos absolu. Comme quoi on est peu de chose ! Pendant ce temps le temps s'est remis au beau et je vais me trouver avec un retard considérable vis-à-vis de mon jardin dont je n'ai pas eu le temps de m'occuper depuis plus de trois mois !
Hôpital de Crest, décembre 1915.Un groupe de blessés
1917, Simone et Julie Mettetal, René et Lucie Vinard
16 mars au 7 juin 1916.
Que d'événements depuis près de trois mois ! Assemblée générale de l'association culturelle le 12 mai à laquelle je n'ai pu assister. Synode régional à Valence le 26 avril très court. Comité de la société centrale à Valence pour le rapport annuel et démission de M.Miel nommé à Lorient. Visite pendant trois jours (15,16,17 mai) de mon frère venu à Bourgoin et dans quelques jours voyage à Paris pour le synode général. Mon neveu René a été détaché pendant un mois à Versailles pour essaie d'un appareil liquide enflammé. Il repart demain huit juin pour le front. Guerre toujours angoissante. Les Allemands continuent à nous tuer et faire tuer des leurs à Verdun. Un grand combat naval entre Anglais et Allemands vers la côte danoise, de grosses pertes des deux côtés. Lord Kirchner et son état-major noyés dans la mer du Nord ! Les horreurs continuent.
Nous avons eu notre vente annuelle le 1er juin -- très beau résultat -- mais quel travail ! On continue à brûler la vie par les deux bouts.
8 juin au 16 juillet 1916.
Toujours l'attente d'événements qui hâteront la fin du cauchemar. Les Anglais qui commencent maintenant à avoir une armée sérieuse nous suppléent sur une partie du front et ils ont commencé une offensive dans la Somme de concert avec les Français qui s'annonce bien. Les Russes avancent, les Italiens de leur côté marchent bien.
Le synode national s'est tenu à Paris les 20 et 21 juin au Temple des Batignolles. J'en ai été nommé vice-modérateur ! ! ! Ma femme m'a accompagné et nous avons profité de l'occasion pour faire un petit tour à Charenton où j'ai fait l'école du Dimanche ! J'y ai été invité un quart d'heure avant et j'étais plutôt un peu embarrassé ne sachant même pas la leçon à expliquer. J'étais aussi passablement ému. Voilà plus de dix ans que je n'avais pas parlé dans ce Temple... Qui évoque pour moi tant de souvenirs ! De tous genres..
Au synode en dehors des questions administratives et financières qui sont la seule raison d'être de cette assemblée actuellement, deux questions intéressantes ont été présentées.
1) Les braves Jarnacais qui ont quitté avec fracas l'union évangélique ou leur conscience leur faisait un impérieux devoir de sortir ont depuis ce moment la hantise d'y rentrer. Quelques-uns de leurs aumôniers ont lancé un manifeste qui a été soumis au synode. Celui-ci en a renvoyé l'étude aux " synodes régionaux qui seront élus après la cessation des hostilités".
2) Après un rapport de M. le professeur Bais sur regroupement d'étudiantes chrétiennes qui offrent leur concours à l'église pour suppléer au vide que la guerre à créer et créera dans le corps pastoral et évangéliste. Le synode a pris en considération et renvoyé l'étude de la question aux synodes régionaux comme ci-dessus. Et il y a quelques années j'ai été considéré comme un phénomène parce qu'au synode de Montauban j'ai osé soutenir qu'on devait donner dans l'église la même place aux femmes qu'aux hommes.
Nous avons vu plusieurs fois à Paris mon neveu René envoyé du front à Versailles pour former une compagnie de génie. Il attend toujours l'ordre de repartir au front avec cette compagnie. Il a pu obtenir depuis un congé et venir nous voir dimanche dernier.
Notre petite Madeleine depuis plusieurs mois à Crest pour sa santé est partie ce matin au Chambon invitée par Mme Westphall. Ma belle-fille Lydie est venue l'embarquer et repartira demain pour Paris.
17 juillet au 26 août 1916.
Le temps marche avec une rapidité effrayante est cependant on voudrait être à l'après-guerre !
Nous progressons mais... lentement et à moins de circonstances tout à fait imprévues on peut compter sur une campagne d'hiver. Les Russes, les Italiens, les Anglais, les Français et l'armée de Salonique ( Russes, Serbes, Italiens, Anglais, français) ont commencé l'offensive. On espère que les Roumains vont venir avec nous, alors la fin sera hâtée..
Le 10 août nous avons ont eu à Crest une trombe de grêle qui a fait des dégâts importants. Mon pauvre petit jardin a été fort abîmé et ma récolte de légumes compromise, mais ce n'est rien à côté des malheureux dont la culture est le gagne-pain.
Mon frère et ma belle-sœur avaient projeté de venir se reposer à Crest en septembre puis ils y ont renoncé. Ma pauvre belle-sœur est bien démontée. Elle s'enferme dans son chagrin et se fait du mal... Que de souffrances autour de soi.
La Grangette en construction en 1912La Grangette vers 1925
La famille Genonville est venue passer quinze jours avec Jean, du 8 au 24 août. Deux jeunes soldats en permissions -- Granon et Bouvet -- sont venus nous voir : ils sont très bien physiquement et moralement. J'ai vu aussi M. Keoffer.
Nous partons au Chambon après-demain lundi matin 28 août jusqu'au 9 septembre.
Nous avons formé un comité " l'entraide Crestoises " pour aider les soldats peu fortunés sur le front, suite du "Petit Paquet". J'ai fait circulaires, affiches, mise en train, commencé l'envoi et le comité des dames continuera.
30 septembre 1916.
Les Roumains sont entrés dans la guerre à nos côtés le 28 août. En Transylvanie. Aidés des Russes ils ont envahi le territoire autrichien, mais au sud, en Donbrondja, ce sont les adversaires qui ont avancé.
Nous avons fait un agréable séjour au Chambon du 15 août au 12 septembre et nous avons ramené avec nous Mme Westphal et André. Ces jours-ci La Grangette était au complet : Mme Westphal, André, Charles venu en convalescence de sept jours, (il est retourné hier pour aller à Joinville Le Pont, élève aspirant), Jeanne Dide femme de chambre de Mme Westphal, Lydie et sa fille Madeleine et mon beau-père Genonville.
Après une série de beaux jours depuis notre retour un orage est survenu et il pleut depuis quatre jours. Aujourd'hui le temps semble se remettre.
Les Faure sont rentrés de Firmechon jeudi, Mme Faure assez malade.
Les troupes anglo-françaises progressent sur la Somme, mais les Allemands sont toujours forts.
Des blessés sont arrivés à l'hôpital la veille de notre retour et depuis ce moment, Linotte a fort à faire, surtout avec la maison pleine.
Il m'a fallu réunir le Comité de l'entraide. Rien n'avait été fait en mon absence. On a nommé un trésorier. J'espère que maintenant on se passera de moi.
17 octobre 1916.
Reçu la visite de ma belle-sœur et de son fils René les 7, 8 et 9 octobre. Elle voulait donner congé de son bail, puis elle s'est ravisée. De nouveau elle se décide à venir se fixer à Crest, mais quand ?
Reçu une bien triste nouvelle : Le jeune Fernand de Rohden ( voir 25/7 au 13/8 1915) a été tué le 24 septembre d'une balle à la tempe droite dans la Somme. (Son père me l'annonce le 7 octobre). Après deux mois de repos en septembre il avait contracté un nouvel engagement au XIIIe alpins ; il était impatient d'aller aux tranchées. À la première sortie aux tranchées il a été frappé.
18 octobre au 7 novembre 1916.
Fin d'année qui s'annonce encore plus triste que la précédente. Temps subitement froid -- neige abondante depuis deux jours qui ne fond pas. La situation s'assombrit : les Roumains semblent devoir subir le sort de la Serbie. Les austro-germano-bulgares-turcs entrent à Bucarest. Comme toujours les Russes arrivent trop tard au secours des roumains ! De notre côté après avoir pris Monastir nous voilà arrêtés et peut-être dans une fâcheuse situation. L'armée d'Orient (Anglais, français, Italiens, Serbes) commandés par Sarrail avait pris l'offensive et la menait brillamment. Mais voilà que les Grecs paraissent vouloir nous tomber dessus. Sarrail va être paralysé et quand les Allemands en auront fini avec les Roumains ils reviendront vers Sarrail. Quelle puissance diabolique !
Il ne faut cependant pas désespérer. Malheureusement au lieu d'agir tous les gouvernements font des discours. Un nouveau chef du gouvernement russe en a fait un " magnifique " puis il y a une crise ministérielle en Angleterre et nous, nous avons un comité secret qui dure depuis dix jours.
Pendant ce temps les Allemands agissent ; ils viennent de décider la mobilisation civile (16 à 60 ans) ils font travailler les Belges et nos pauvres compatriotes du pays envahi et ils font des préparatifs formidables.
Nos amis Westphal nous demandent de venir passer Noël à Crest -- André atteint d'une pleurésie a dû aller à Nice avec sa mère mais ils s'y sentent isolés; ils viendraient donc à Crest et M. Westphal, Alice et Charles viendraient aussi.
Mon neveu René est retourné au front.
13 novembre 1916.
Un nouveau ministère ou plutôt un ministère "reconstitué" avec le général Lyautey à la guerre. On a crée un comité directeur de la guerre et la suppression des ministres d'état.
19 novembre 1916.
Une offensive à Verdun a donné des résultats satisfaisants : 11103 soldats et 284 officiers allemands prisonniers, important matériel. Mais que nous a coûté ce succès ! !
Le général Joffre nommé conseillé technique du comité de guerre est remplacé par le général Nivelle.
19 janvier 1917.
Nous voici à Charenton chez nos amis Westphal depuis le 11 janvier au matin, heureux d'un peu de détente, tout de même regrettant un peu d'avoir quitté Crest au moment où on annonce l'arrivée de nouveaux réfugiés. J'ai laissé à la mairie toutes les indications et documents pour les recevoir et... Ils se débrouilleront pour une fois, c'est du reste ce que m'a dit notre maire pour me tranquilliser.
Dimanche 21 nous sommes allés au culte dans ce temple dont j'ai suivi l'édification pierre à pierre si je puis bien dire. C'est M. Oulès qui faisait le culte ; aumônier il a obtenu un congé de convalescence. Son texte "que servirait-il à un homme de gagner le monde..." Il a lu quelques versets de l'Eclésiaste : le refrain "vanité tout est vanité". C'est bien ce que peut dire un jouisseur égoïste mais tout de même en reconnaissant que cette terre n'est certainement pas notre Patrie, on peut bien dire qu'en ne s'occupant pas uniquement de soi, il n'y a pas ici-bas que des désillusions... Il faudra que je réfléchisse à ce sujet ; peut-être en pourrai-je tirer quelques conseils pratiques pour moi et les autres.
M. Oulès nous a raconté une émouvante anecdote. En arrivant à Sermaise ils ont trouvé un village en ruine et une population terrorisée. Le maire a raconté que pendant plusieurs jours le commandant Allemand Kurt Von Hastein a procédé à l'anéantissement systématique de la ville : on faisait sortir tous les habitants des maisons, les réunissant sur la place publique puis les maisons étaient pillées quelques-unes incendiées. Les Allemands avaient pour cela les engins et les munitions les plus perfectionnés. Les femmes étaient abandonnées aux soldats et celles qui essayaient de résister étaient fusillées. Les hommes étaient constamment menacés, menaçés aussi d'être passés par les armes. Le quatrième jour de ce régime de terreur, un obus de 75 est venu mettre fin aux emplois sataniques de cet ignoble commandant puis les Français sont entrés. Plus tard le maire a reçu par l'intermédiaire de la Croix-Rouge une lettre de la femme du commandant Von Hastein qui avait appris la mort de son mari. Elle demandait au maire de lui envoyer les objets personnels de son mari, notamment son alliance, et de marquer d'une croix l'emplacement de sa tombe. Le maire après un peu d'hésitation à accédé à ses demandes.
Aujourd'hui visite de M. Oulès chez les Westphal. Il nous a raconté quelques épisodes de sa campagne. On ne se représente pas à l'arrière toute l'épouvante de la guerre et tous les instincts de brute qu'elle réveille. Au début les besoins religieux étaient réels. L'armée était composée de l'élite de la nation qui avait le sentiment de donner sa vie pour une juste cause, puis sont arrivés les récupérés ceux qui avaient taché de s'exempter du devoir patriotique et qui ne participent à la guerre qu'avec une mentalité de mercenaire en quelque sorte. Ils ne songent qu'à se garer le plus possible et à subir le minimum de privations. De besoins religieux... aucun.... Ce n'est pas sur eux évidemment qu'il faut compter pour refaire la patrie après la guerre.
Monsieur Oulès croit à la victoire, il ne peut admettre que les Allemands ne soient pas mis dans l'impossibilité de recommencer leur forfait. À Badonvillers, même procédés de pillage, de terrorisme et d'atrocités qu'à Sermaise
.... à suivre ... (document à retrouver !)
"suite (Annexe - dernière lettre du lieutenant Jean Vinard à sa mère)"
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Maj. 07-05-01